I
« PARIS BEAUX-ARTS »
GRAND ÉTABLISSEMENT
Pôle National Supérieur d’excellence artistique
Introduction
La succession de l’actuel directeur de l’ensba ne saurait se résumer à la convoitise d’un « poste », fut-il prestigieux.
Ce serait une erreur à courte vue que de limiter la question à un simple problème technique de pourvoiement administratif.
Elle crée en revanche deux opportunités :
1) Réinventer une fonction,
2) Fonder un Pôle National Supérieur d’Excellence Artistique de stature internationale.
Prendre la charge de l’établissement n’aura de sens que si celui-ci devient rapidement le socle d’un édifice d’excellence académique beaucoup plus vaste, regroupant à terme plusieurs établissements nationaux supérieurs parisiens d’enseignement artistique —l’ENSBA – L’ENSAD – l’ENSCI – PARIS-CERGY-PONTOISE — sous la dénomination commune de « PARIS BEAUX-ARTS ».
Contexte général, enjeux.
Riche de son passé artistique illustre [Chauvet -28000, Biennale de Venise +1964 ? 😉 ] la France et plus encore Paris, conservent culturellement un fort capital symbolique dans le monde, un véritable pouvoir d’attraction artistique. L’école des Beaux-Arts de Paris, de toute évidence, demeure un fleuron de la légende artistique française. Ce fleuron doit être conservé, renforcé, refondé, et ceci sur le site même de son emplacement central actuel.
L’école des Beaux-Arts bénéficie en outre d’un avantage comparatif qui, certes, tient moins à son passé ou à son excellence actuelle, qu’a la faiblesse structurelle de la majorité des écoles d’art françaises de province, trop nombreuses, trop petites, ou trop périphériques.
Et ne parlons pas de la Ville de Paris, inexistante sur ce terrain et qui persiste incompréhensiblement à ne pas se doter d’une grande école municipale d’art…
Risque
Toutefois si rien n’est fait, le capital symbolique de l’ensba et cet avantage comparatif s’éroderont inéluctablement à mesure que se multipliera la concurrence de grandes écoles d’art inter-régionales en province en construction, tandis que, parallèlement, les étudiants les mieux informés ou ceux qui en ont les moyens feront leur marché , choisissent de plus en plus de faire leurs études à l’étranger Bruxelles, Londres, Dusseldorf, voire aux Etats-Unis.
II
Nécessité d’un pôle français d’excellence artistique
de stature internationale
La question que pose cette contribution est la suivante : la France et en premier lieu Paris doit-elle conserver à l’avenir une place prépondérante dans l’enseignement artistique mondial ?
Selon nous la réponse à cette question est : OUI. Pour au moins trois raisons.
1) Dans le contexte de la globalisation la France occupe une place unique. Schématiquement située mi-chemin de Los Angeles à l’ouest, culturellement régie par la loi du spectacle, et de Shanghai à l’extrême-est, encore largement soumise à un certain (re)productivisme académique, Paris peut et doit plus que jamais tenir avantageusement le rôle de pivot artistique dans la mesure ou elle reste, malgré les aléas, la patrie d’un certain humanisme éclairé ou l’on continue de cultiver communément le goût pour les idées, l’esprit d’analyse, les débats critiques vifs, les arts, la culture vivante et naturellement un certain luxe raffiné qui s’exporte aujourd’hui dans le monde entier. Ce modèle est unique, et fait l’admiration du monde entier, il n’appartient qu’à nous de le faire fructifier.
2) La seconde raison qui Plaide pour la nécessité de maintenir en France un enseignement artistique de haut niveau est dans le lien qu’on peut établir entre la vitalité des scènes artistiques allemandes anglaises ou américaines, de leur présence et de leur puissance sur le marché de l’art notamment, et l’investissement notoirement massif de ces pays dans la formation artistique.
Or, aucune école française n’est aujourd’hui en mesure de rivaliser avec l’académie de Dusseldorf, Le Royal Collège of Art, ou les grandes écoles nord-américaines, en attendant l’irruption qui promet d’être massive des écoles d’art des pays émergeant, et l’on peut légitimement se demander si cette faiblesse objective des écoles d’art françaises n’explique pas pour partie la faiblesse conséquente de la scène et du marché français dans le concert international. Il n’est, encore une fois, que de comparer d’autres domaines de la création ou de la recherche scientifique, pour vérifier qu’il existe un lien étroit entre la puissance et la qualité des instances de formation des élites et la vigueur sociale des secteurs pourvus.
3) Troisième raison enfin : le patrimoine artistique exceptionnel de la France constitue aujourd’hui une des premières sources de richesse du pays, notamment sur le plan touristique. Ce patrimoine n’a pu se constituer que parce que la France, à différente périodes de son histoire, s’est révélée capable d’ attirer les meilleurs talents artistique de l’époque.
Être mondialement attractif et compétitif pour les meilleurs étudiants en art, c’est s’offrir une chance qu’ils enrichiront ensuite le pays de leur oeuvre. Un exemple éclatant récent nous est donné par le cas de Marjane Satrapi, exilée iranienne passée par l‘école des arts-déco de Strasbourg et qui a produit quelques années plus tard « Persépolis » un best-seller mondial qui s’est vendu à 7 millions et demis d’exemplaires…
Conclusion
Paris ne « revolera jamais à New York l’idée d’Art moderne » ? La chose est entendue. Il ne s’ensuit pas que Paris soit fatalement condamnée à devenir une ville de « summer academies » comme Florence.
Mais il faut s’en donner les moyens.
« Il faut donc tout faire pour rétablir les conditions de la croissance et, en attendant, réduire la dette. [int: Le problème est donc davantage lié à la croissance ? Oui.] Et cela passe par l’éducation, les grands projets… C’est aussi crucial aux États-Unis qu’en Europe. Il faut recréer l’économie de la connaissance. En Europe, cela passe par un grand emprunt. »
Jacques Attali, Le Monde du 11 août 2011.
III
Situation spécifique de l’ENSBA
La situation actuelle de l’ENSBA peut résumer en un mot : l’embarras.
Embarras patrimonial, foncier, spatial et technique.
Embarras muséal —avec des collections précieuses, mystérieuses, convoitées, mais qu’on ne sait ni céder vraiment, ni mettre en valeur tout à fait.
Embarras programmatique enfin, entre un héritage pédagogique académique qu’on n’assume que mezzo voce —sans toutefois envisager de le liquider— et une avant-garde artistique dans laquelle on hésite encore largement à s’aventurer.
(Cet embarras s’est reflété dans la décision de confier les deux directions précédentes à des conservateurs du patrimoine tandis que, à nouveau, un conservateur semble prétendre fermement à la succession « compensatoire » de ses deux confrères…
Dans ces conditions, autant céder purement et simplement l’ENSBA à la direction du Patrimoine et qu’on ne nous parle plus d’école des Beaux-Arts, la catastrophe aura au moins le mérite de la cohérence…)
Métaphoriquement l’ENSBA serait comparable à un très vieil animal quasi-préhistorique à sang-froid, lent, au squelette massif mais aux os friables, et avec une peau si épaisse qu’elle forme une carapace rigide.
Ainsi, à défaut de pouvoir, véritablement, muer, l’école est désormais contrainte de rechercher à l’extérieur les conditions minimales de son développement ainsi qu’en attestent les récents aménagements d’une base technique à Saint-Ouen.
Or nous croyons que la vieille bête, sa carcasse comme son ADN restent une ressource très riche.
Situation concurrentielle des écoles d’art française dans le contexte international.
Le cas de l’ENSBA est certes particulièrement aigu. Mais toutes choses égales c’est une fragilité que connaissent les autres écoles nationales supérieures d’art parisiennes.
Cette situation se manifeste actuellement à travers la nécessité impérieuse d’être attractif, compétitif et conforme aux standards académiques européens (réforme LMD) voir occidentaux, standards comparatifs selon lesquels ces établissement sont désormais en compétition directe.A titre d’exemple la UNIVERSITY OF ARTS LONDON, qui résulte du regroupement de six école londoniennes de premier plan, vante désormais sur son site web une capacité d’accueil de 20 000 étudiants…
Situation concurrentielle intra-nationale
Au plan national, les écoles subissent les menées, parfois très entreprenantes de certaines universités, grandes écoles ou autres puissants instituts organisés en pôle d’excellence, et qui ne font pas mystère —la réforme LMD aidant— de leurs prétentions à s’arroger une partie des missions traditionnellement dévolues aux vénérables écoles des beaux-arts… voire de vassaliser totalement celles-ci. On ne débattra pas ici du bien-fondé, de l’anachronisme ou de la cuistrerie, parfois, de certaines tentatives.
En revanche nous affirmerons sans aucune ambiguïté notre position inébranlable sur la question de l’enseignement artistique.
Irréductible spécificité de l’Enseignement artistique en école d’art :
PÉTITION DE PRINCIPE
Les pratiques artistiques à haut niveau, se fondent sur la capacité à exercer, seul ou en groupe, des talents personnels exceptionnels. Sur l’acquisition d’habiletés manuelles ou artisanale extrêmement spécialisées voire rares.
Par-dessus tout, l’apprentissage artistique dans ses phases créatives, passe par des processus de mobilisation émotionnelle puissants, profonds, intimes, parfois déroutants ou irrationnels.
Du point de vue d’excellence —voire élitaire— qui est le nôtre ici, l’apprentissage de pratiques aussi spécifiques, qui se nourrissent fondamentalement de liberté, de temps, d’harmonie, et d’apparents tâtonnements parfois, sont incompatibles avec le formalisme du système universitaire français tel qu’il prévaut actuellement, et a fortiori, avec les normes bureaucratiques qui pourraient être définies verticalement, depuis un ministère de l’éducation nationale ou de la recherche.
IV
Des pôles d’excellence pour pérenniser les conditions d’autonomie de l’enseignement artistique en école d’art:
- Garantir l’avenir et la spécificité d’un enseignement artistique spécialisé dans des écoles d’art en France, implique de garantir son autonomie.
- Pour garantir cette autonomie il faut augmenter significativement la taille et le poids des établissements regroupés en pôle d’excellence et
- les doter d’une forme juridique adéquate. (Pole d’excellence, Statut de Grand Etablissement, et EPSCP)
En termes de définition des normes et des contenus, une telle organisation créera les conditions d’un dialogue plus « équilibré » avec les instances de normalisation universitaire* nationales (AERES) ou européenne, de leur répliquer, (de faire prévaloir son point de vue.)
*[ Précisons le fond de notre pensée sur ce point a priori délicat : s’agissant de la définition des normes pédagogiques l’université française ne saurait être considérée comme un obstacle par les Beaux-Arts, et ceci pour une raison simple : historiquement, l’université française, n’a jamais été en capacité d’assurer la formation des élites des secteurs très spécialisés comme, par exemple, l’architecture, la science politique, l’art militaire, ou les Beaux-Arts donc, et il est douteux qu’elle puisse y parvenir du jour au lendemain. Par conséquent, les accords de Bologne et la réforme LMD qui s’en est suivie, qui impose aux écoles de recruter un certain nombre de professeurs habilités à diriger des thèses s’avérera être le contraire même d’une ingérence du système normatif universitaire français. C4est plutôt une chance pour les écoles des Beaux-Arts. Ces professeurs « habilités » étant progressivement intégrés aux Ecoles selon des profils qui deviendront de plus en plus spécifiques à leur objet avec le temps, les écoles d’art pourront à terme faire jeux égal dans le système de validation universitaire européen, et selon leurs propres critères spécialisés).
En termes de capacité de négociation politique et budgétaire, les avantages d’un Grand Etablissement autonome sont tellement évidents, il n’y a pas lieu de s’y appesantir ici.
En termes de gestion enfin, elle permet de rationaliser les coûts et les ressources pédagogiques, matérielles et financières.